Juana Pargament aura 100 ans en juillet, mais cette infatigable Mère de la Place de mai continue de manifester chaque jeudi pour réclamer justice pour les disparus de la dictature militaire (1976-1983) en Argentine.
"Aujourd'hui, je regarde derrière moi et je vois 1.884 jeudi, nous n'avons pas arrêté de marcher et de revendiquer", confie la vieille dame lors d'un entretien avec l'AFP.
Imperturbable, Juana Pargament arrive sur la Place de Mai quelques minutes avant la manifestation, le visage encadré par l'emblématique foulard blanc portant l'inscription "apparition en vie des disparus". A 15H30 précises, les Mères, toutes coiffées du foulard blanc, marchent pendant trente minutes, emmitouflées dans de long manteaux alors que l'hiver austral sévit en Argentine.
Le 10 de novembre de 1976, son fils Alberto Pargament, un médecin de 31 ans, a été enlevé dans sa maison par neuf hommes habillés en civil et fortement armés. Après cela, Juanita a arpenté casernes, commissariats, églises et administrations, sans obtenir la moindre information sur son sort.
Comme lui, 30.000 femmes et hommes sont portés disparus, selon le chiffre des Mères de la Place de mai. Ils ont été torturés, exécutés, puis les militaires ont fait disparaître leurs corps, parfois en les jetant dans le Rio de la Plata, depuis des avions.
"Quand ils ont pris Alberto, ça a été dur. Je sais qu'il militait, que la jeunesse se réunissait. C'est à ce moment que j'ai commencé à marcher. Que je suis sortie dans la rue", raconte Mme Pargamant, jusque là femme au foyer, qui a basculé dans le militantisme à l'âge de 63 ans.
Elle a rencontré d'autres mères dans le même cas, à la recherche de leurs enfants disparus, c'est comme ça que les Mères de la Place de Mai ont vu le jour le 30 avril 1977, un samedi. Depuis, elles ont parcouru le monde avec leur revendication. La veuve Pargamant s'est rendue dans plusieurs pays d'Europe et au Vatican.
- Mères contre militaires
Les Mères de la Place de mai ont eu l'audace en 1977 de se mobiliser devant la Casa Rosada, le Palais présidentiel occupé alors par les militaires, au plus fort de la répression. Les Mères, comme on les appelle en Argentine, ont désormais des alliés à la Casa Rosada, avec la présidente de centre-gauche Cristina Kirchner et avant elle, son mari Nestor Kirchner (2003/2007).
Les Mères, dont la plus jeune est octogénaire, sont parfois une dizaine, parfois plus, à tourner autour d'une statue pyramidale plantée au milieu de la Place de mai. Juana Pargament n'a raté le rendez-vous du jeudi qu'en cas de mauvaise grippe ou de déplacement à l'étranger, car comme ambassadrice de la cause. Ses cadettes lui donnent le bras et avancent en tenant une banderole les identifiant.
Des plus jeunes, parfois des maîtresses d'école avec leurs élèves, les accompagnent.
"Juanita", comme l'appellent les autres militantes, un petit bout de femme d'un peu plus d'1m50 se tient droit comme un "i", de grosses lunettes sur le nez, et marche sans canne.
Tous les jours, Juana Pargament pousse la porte de la Maison des Mères, dans le centre de Buenos Aires, à 200 m du parlement, dans un bâtiment qui abrite aussi l'Université populaire des Mères, créée en 2000, une librairie et un bar.
"C'est un endroit spécial. Ici, on se sent bien. Cette lutte dure depuis plus de 35 ans et nos vies en sont imprégnées", dit-elle.
"Nous avons fait quelque chose d'unique en son genre qui a été de socialiser la maternité", soutient Juanita. Elle parle fermement d'une voix frêle, sans se laisser interrompre.
"Nous avons décidé d'unir nos forces, de manifester ensemble, pour tous", dit-elle, assisse dans un bureau dont les murs sont recouverts de photos-souvenirs.
Elle se refuse à parler de la vie privée ou militante de son fils. Au sein de l'organisation, insiste-t-elle, "il y a un pacte: ne pas parler des cas individuels, car nous luttons pour tous ceux qui ont été enlevés".
"Nous avons décidé de ne pas arrêter, quand on s'arrête, dit-elle, on fait marche arrière et il faut aller de l'avant".
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